Ergonomie participative : l’homme au cœur de l’entreprise

Ce double objectif de modernisation du processus industriel et de préservation du capital humain nécessite l’implication de tous les acteurs de l’entreprise, depuis la direction jusqu’aux opérateurs, en passant par toute la chaîne managériale. De récentes études montrent que la participation des salariés à la recherche et à l’évaluation de nouvelles solutions améliorant les conditions de travail au quotidien sont des éléments clés de leur motivation. Les échanges doivent être à double sens afin de donner aux personnes la possibilité d’agir sur leurs propres situations de travail, avec le double souci de préserver leur santé et l’efficacité économique (Dugué et al., 2010). Les salariés réclament de l’attention et souhaitent donner du sens à leur travail. Lorsqu’une décision qui les concerne doit être prise, ils désirent être impliqués dès la conception du poste de travail, ce qui garantira une meilleure acceptation. Une action ergonomique ne peut donc pas être imposée, que ce soit la mise en place d’un tapis anti-fatigue, d’un siège ergonomique, d’un poste de travail réglable en hauteur, voire d’un exosquelette. 
Dans tous les cas, les opérateurs doivent non seulement participer à sa mise en œuvre, mais surtout ils doivent être accompagnés pendant toute la phase d’appropriation de l’équipement. Il est même préférable de mener des actions régulières de "piqûres de rappel" sur les bonnes postures ou les bons gestes. À ce sujet, il peut être très utile d’organiser des groupes de travail afin d’identifier les gestuelles les moins traumatisantes, en faisant éventuellement appel aux opérateurs les plus expérimentés.
Au-delà de CTC, qui est en mesure d’accompagner les entreprises, d’autres intervenants extérieurs peuvent aussi être très utiles pour faire passer des messages d’hygiène de vie et de prévention, notamment des kinésithérapeutes ou des ostéopathes, qui proposent maintenant des actions en entreprise (Kiné France Prévention, TM Institute, NéoForma, etc.). L’avantage est qu’ils peuvent proposer à chaque salarié des conseils personnalisés d’exercices physiques prenant en compte leurs éventuelles pathologies.
Afin d’illustrer nos propos, il nous a semblé important de vous proposer quelques témoignages, notamment recueillis lors du débat organisé par l’AFTIC sur le thème de l’ergonomie, avec la collaboration de CTC, le 24 janvier 2019.

BILAN DE LA CONFÉRENCE-DÉBAT DE L’AFTIC SUR L’ERGONOMIE

Cette conférence réunissant experts CTC, industriels et équipementiers a permis aux participants d’échanger autour de leurs expériences sur les outils ergonomiques, sur le succès de leur mise en œuvre, mais aussi sur les difficultés qu’ils ont pu rencontrer pour motiver les opérateurs à prendre soin de leur santé.
Annelise Morin, directrice de la société Plastigom, a partagé son expérience autour des actions de sensibilisation de son personnel aux conditions de travail. Elle a aussi présenté les résultats du Libergo, outil ergonomique permettant de soulager les opérateurs qui travaillent avec les coudes décollés du corps. Cet outil a été développé et breveté par CTC et le groupe SIS (voir "CTC entreprise" de juin 2017, p. 10-12).
Julien Lespinasse, responsable HSE du groupe Eram, a notamment évoqué les avantages liés à l’utilisation d’un exosquelette IP12 pour soulager les opérateurs travaillant les bras en l’air sur des carrousels d’injection.
Deux équipementiers, Benoît Sagot-Duvauroux, responsable de l’activité exosquelette Gobio, et Gilles Massé, fondateur d’Écho Positif, ont présenté les usages et avantages de leurs produits. Léger et mobile, l’exosquelette Gobio aide à travailler avec les bras en hauteur. Écho Positif commercialise des bâtis ergonomiques motorisés réglables en hauteur pour machine à coudre, permettant de faciliter la polyvalence aux postes de travail.
Au-delà des aspects techniques, les échanges ont porté sur l’importance de la communication pour impliquer, au plus tôt, les opérateurs dans une démarche d’amélioration des conditions de travail. En effet, il ne suffit pas de proposer des équipements ergonomiques : il faut nécessairement que les opérateurs soient convaincus de leur utilité pour leur santé.

TÉMOIGNAGES DES INDUSTRIELS

Annelise Morin, Directrice de Plastigom

« Points de départ de ma réflexion : un taux d’AT/MP (accidents du travail et maladies professionnelles) très élevé dans la profession (éléments obtenus auprès de la Fédération Française de la Chaussure) et deux licenciements pour inaptitude professionnelle sur le même poste, la piqûre Ströbel.
Problématique : si nous ne pouvons pas guérir, comment pouvons-nous prévenir ?
Je me suis rapprochée de la CARSAT et ai pu, dans le cadre de l’AFS-TMS (aide financière simplifiée réservée aux entreprises de moins de 50 salariés), obtenir dans un premier temps un audit en ergonomie. Tous les postes de l’entreprise ont été passés à la loupe en huit jours par un ergonome agréé CARSAT. Nous avons réalisé un plan d’actions. Certaines de ces actions relevaient du bon sens, d’autres nécessitaient des investissements plus ou moins onéreux.
Nous avons notamment changé tous les sièges des couturières, aménagé une estrade plus large pour éviter les risques de chute, investi dans une nouvelle machine à colle (le poste de collage était celui qui engendrait les mouvements les plus "traumatisants") et acheté des tapis anti-fatigue.
Nous avons également investi dans deux appareils Libergo pour les postes de piqûre (Ströbel et bordage). Nous avons d’abord effectué des tests avec CTC pour valider l’équipement. Le plus important, me semble-t-il, est d’avoir informé et associé les personnes à qui ils étaient destinés afin d’obtenir leur adhésion. En effet, sur ce type d’appareil, le regard des autres est important et, sans communiquer en amont, il peut ne pas être accepté. Chez nous, l’adhésion a été telle que les deux personnes ne voulaient pas le rendre !!! Elles m’ont indiqué qu’elles ressentaient un grand apaisement et beaucoup moins de fatigue après leur journée de travail. Je n’ai pas pensé à essayer le Libergo sur les stations debout. À réfléchir et essayer pour des postes d’ébarbage ou de montage. »
Il est à noter que, depuis cette journée, un harnais Libergo est utilisé avec succès sur des postes à station debout (des rifilatrices Colli) chez Humeau Bopy.

Julien Lespinasse, Responsable prévention hygiène et sécurité chez Eram

« Nous avons testé un premier ergosquelette il y a deux ans (harnais Laevo), permettant de soulager les lombaires des opérateurs qui doivent se pencher en avant, notamment dans les ateliers de logistique. Préalablement, les équipes avaient été informées en leur présentant l'intérêt de l'équipement, et nous avons ciblé certains postes avec eux. Nos tests ont duré deux jours, durant lesquels nous avons pu le faire tester à quarante volontaires sur quatre sites différents. Les premiers retours étant positifs, nous avons fait l’acquisition de trois équipements et, à ce jour, les opérateurs l’utilisent toujours. Notre satisfaction est d’autant plus importante que l’un de nos collaborateurs ne souffre plus du tout du dos depuis qu’il est équipé de son ergosquelette.
L'accompagnement des collaborateurs est primordial dans la réussite de ce type de projet : ils doivent comprendre l'intérêt du matériel et être quasiment convaincus avant même de le tester.
Dans cette même thématique, nous sommes également partenaires dans un projet visant à mettre au point un exosquelette actif d’aide au portage de charges (IP29). Deux postes de travail ont été ciblés, l'information a été faite aux collaborateurs et trois d’entre eux se sont portés volontaires ; ils sont dynamiques et motivés par le sujet pour nous accompagner dans la mise au point de cet équipement. »

TÉMOIGNAGES DES ÉQUIPEMENTIERS

Gilles Massé, Écho Positif

L’entreprise Écho Positif propose des postes de travail ergonomiques (notamment des bâtis de machine à coudre), "adaptés à l’Humain et aux tâches à réaliser dans un environnement changeant".
Gilles Massé a constaté que les salariés se soucient beaucoup plus de leur santé qu’auparavant et que les entreprises sont également de plus en plus sensibilisées sur ce sujet.
Sa philosophie consiste à travailler en co-construction avec les utilisateurs finaux, pour non seulement aboutir à un poste qui réponde à leurs besoins, mais aussi pour vaincre une certaine "résistance au changement", somme toute assez naturelle. L’appropriation des équipements par les salariés est en effet un gage de réussite.
Une fois le poste aménagé, l’opérateur doit aussi être accompagné pour continuer à le régler correctement, car les mauvaises habitudes de travail sont souvent tenaces et adopter une posture correcte et confortable n’est pas si simple. En effet, il est inutile de proposer un poste de travail ergonomique si l’opérateur ne le règle pas correctement à chaque fois qu’il l’utilise et s’il ne prend pas soin de sa posture. Cet apprentissage est indispensable et il nécessite des "piqûres de rappel" régulières, réalisées en interne ou par un intervenant extérieur.
Les opérateurs sont au final satisfaits, l’absentéisme thérapeutique diminue et la productivité peut même augmenter, puisque la fatigue se fait moins ressentir en fin de journée.

Benoît Sagot-Duvauroux, Gobio/Gebe2, filiale du groupe Europe Technologies

Gobio/Gebe2 développe une gamme complète d’exosquelettes (actifs ou passifs) permettant, soit de soulager les opérateurs qui travaillent avec les bras en l’air (équipement IP12, modèle SkelEx, présenté dans "CTC entreprise" de janvier-février 2018), soit d’assister au port de charges (équipement IP29, au développement duquel CTC participe), soit de permettre à un opérateur de pouvoir alterner, quel que soit l’endroit où il se trouve, une position assise ou debout (équipement IP14).
Benoît Sagot-Duvauroux a constaté, en 2018, une très forte augmentation des ventes de son produit phare, l’IP12, avec une centaine d’unités commercialisées en France. Il prévoit même de doubler ses ventes en 2019, tant ce produit correspond aux besoins d’entreprises extrêmement variées, du bâtiment à l’industrie mécanique, en passant par l’industrie navale. Le succès du déploiement de ce type de solution s’explique par une demande très importante des grandes entreprises privées ou publiques, mais aussi par le rôle des médias, qui permettent de faire connaître les exosquelettes au grand public, ce qui facilite grandement leur acceptation par les opérateurs. Pourtant, force est de constater que des résistances demeurent encore, que les opérateurs soient jeunes ou âgés. D’abord, une personne qui n’a pas de douleur acceptera moins facilement de porter un équipement dans une démarche de prévention des TMS qu’un opérateur qui ressent des douleurs et qui constate immédiatement un soulagement. Il y a donc un équilibre à trouver et à accepter entre les bénéfices (baisse voire suppression des douleurs, fatigue moindre en fin de journée) et les contraintes (pour s’équiper, pour les régler, contact, chaleur, etc.).
Ensuite, même si les exosquelettes sont de plus en plus légers et discrets, la peur d’être stigmatisé peut aussi exister.
Enfin, les coûts ne sont pas négligeables (autour de 5000 € pour un IP12), surtout pour une PME qui peut hésiter à investir si un grand nombre de postes est concerné.

Focus sur les essais en tannerie : exosquelette de maintien des bras en l’air IP12

Dans "CTC entreprise" de janvier-février 2018, nous avions présenté un harnais permettant de soulager les opérateurs qui travaillent avec les bras au-dessus des épaules. Maintenant pleinement opérationnel, il est distribué par Gobio sous l’appellation IP12, modèle SkelEx. Son procédé d’assistance est entièrement mécanique ; il se porte comme un sac à dos, avec deux gouttières mobiles dans lesquelles l’opérateur positionne ses bras au ras du coude. Il se règle facilement en fonction de la taille des opérateurs et il a l’avantage d’être léger (environ 3 kg pour la version renforcée) et adapté à un environnement humide. Lorsque les bras sont placés le long du corps, l’opérateur est totalement libre de ses mouvements et, lorsqu’il commence à les lever, l’assistance agit progressivement jusqu’à la position horizontale où le maintien est maximal (4 kg par bras). L’intensité de cette assistance peut être réglée en fonction de la morphologie de l’opérateur et de sa charge. L’opérateur a alors l’impression d’avoir les bras en apesanteur, il ne ressent plus aucune contrainte sur les trapèzes et sur les lombaires, la charge étant intégralement reportée verticalement, sur le dessus des épaules et sur les hanches. De plus, le contact de ce harnais incite l’opérateur à se tenir droit.

Tests industriels de l’IP12 à la mégisserie Bodin-Joyeux

Comme il est d’usage, au cours d’une Commission technique tannerie-mégisserie, CTC avait proposé de prêter cet équipement et de participer à sa mise en œuvre.
Un opérateur d’une mégisserie l’a utilisé en moyenne cinq heures par jour pendant deux mois, sur un poste d’accrochage et de décrochage traditionnel sur crochets de peaux d’agneaux.
Après une période d’acceptation de quelques minutes, il a ressenti un réel soutien et, par la suite, il a constaté une fatigue physique moindre au quotidien. Le harnais lui a aussi amené un maintien du dos qu’il a jugé très utile.
L’opérateur a même eu du mal à se séparer du harnais à la fin des essais.
D’autres tanneurs se sont portés volontaires pour des tests de longue durée ; nous vous tiendront prochainement informés des résultats de ces essais.
Au-delà de l’ergonomie, ces témoignages illustrent bien que la réussite d’un projet nécessite l’implication et la prise en compte des besoins des personnes concernées. La résistance au changement étant une réaction naturelle, des phases de préparation, de tests et de formation sont donc indispensables pour rassurer et surtout pour prouver la pertinence de la solution proposée.

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